Se présentant volontiers comme un personnage de
caricature, Erhmann n’est ni sorcier ni gourou mais un chef
d’entreprise profondément impliqué, ancré
dans son époque ; probablement visionnaire quant à
son activité.
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Un parfum de Citizen
Kane rôde autour du Pdg du groupe Serveur. Avide d’information,
Thierry Ehrmann porte des jugements tranchants sur les comportements de
la société actuelle. Ce type là n’envisage pas
l’économie simplement sous le seul aspect financier. Portrait
d’un fin stratège.
GROSSISTE EN INFORMATION
La force de Thierry Ehrmann ; si tant est que le terme convienne pour
un homme de cet acabit, réside en une idée toute simple,
bien que longuement fomentée puis nourrie d’heures de lecture
et d’analyse. Schématiquement, il pioche dans les archives
publiques, les fonds documentaires, les procès verbaux et autres
annonces légales et judiciaires, une info brute, qu’il traite,
organise, enrichit et rend accessible au plus grand nombre via une multitude
de banques de
données. La directive européenne du 11 mars 1996 lui a même
laissé les coudées franches en introduisant un droit spécifique,
dit droit “sui generis”, destiné à protéger
le producteur de la base de données contre l’appropriation
par un concurrent ou un utilisateur de son contenu.
Le Groupe Serveur,
qu’il a fondé en 1987, commence donc à peser lourd
: treize filiales, dont deux cotées et une dizaine de participations
minoritaires. À la clé : plus de 90 banques de données
exploitables et quelque 73 millions d’euros de
chiffre d’affaires en 2001 (479 MF) pour un effectif de 400 personnes
à l’échelle de la planète. Les fleurons de cette
belle industrie de l’information sont Artprice .com, le Serveur Judiciaire
et le Serveur Administratif. Si ces deux dernières entités
s'imposent comme des acteurs majeurs en Europe de l'information juridique,
légale et judiciaire, la première possède et exploite
la plus importante banque de données mondiale de cotations d'œuvres
d'art : peintures, estampes, dessins, sculptures, affiches, photos...
Plus de 180 000 artistes sont ainsi cotés en continu, de même
qu’un million de biographies. Évidemment, le contenu proposé
a un prix, la gratuité de l’information étant pour
Thierry Ehrmann, “une hérésie pure et simple”.
Mais l’homme
n’entend pas en rester là. De ses propres termes, véritable
“dealer d’info”, il finalise une base de données
sur le vin et rêve par exemple d’acquérir les actifs
presse de la prestigieuse maison Drouot, à savoir la Gazette de
l ’Hôtel Drouot, le Moniteur des Ventes et leur pôle
internet. I1 prépare également l’introduction de l’intégralité
du groupe en bourse dans l’objectif de lever 120 à 150
millions d’euros. Les milieux financiers, rigolards il y a encore
quelques temps, commencent à montrer patte blanche. Pour Louis
Thannberger, le pape des introductions en bourse, Thierry Ehrmann est
tout simplement un “futur très
grand, qui se retrouvera au zénith dans moins de trois ans”.
NI SORCIER, NI GOUROU
!
Le problème de Thierry Ehrmann est tout simple, c’est que
le bonhomme, affublé d’une coiffure surréaliste pour
un homme d’affaires, a toujours quelque chose à dire sur un
monde qu'il observe à la loupe. Affamé
d’information, chaque matin il gloutonne pendant trois heures les
journaux devant la clientèle médusée d’un café.
Il est comme ça Ehrmann jusqu’au- boutiste à rendre
chèvre ses pourfendeurs qui lui prêtent moult dérives.
On le dit gauchiste parce que deux tableaux de Mao trônent en bonne
place dans son fief de Saint-Romain-au-Mont-d’Or, puis le voilà
barré à l’extrême droite pour des phrases mal
interprétées et sorties de leur contexte. Bref, l’homme
intrigue tellement qu’il finit par attirer les journalistes comme
mouches sur la tête d’une vache. Alors que dire ? Le visage
jeune, presque poupin, avec un sourire en guise de rictus, obstinément
habillé de noir, à priori on le décrira comme avenant
et plutôt franc du collier. Il vous fait traverser à train
d’enfer, les pièces en quinconce de l’ancien relais de
poste transforrné en une ruche étonnante. Ici , pléthore
de jeunes gens nourrisse des banques de données insatiables, tout
ça au beau milieu d’œuvres d’art qui font flores,
autant que les ordinateurs et c’est peu dire. On traverse un jardin
sans surprise à l’exception du portrait de Mao à l’air
libre sous une galerie, en phase de redressement culturel probablement.
On entre alors au rez-de-chaussée de la maison de famille, une
ancienne grange transformée en vaste bureau noir, mais alors noir
de chez noir, tables et cloisons incluses tant et si bien qu’il admet
une erreur de gestion décorative. On évoque ” Alors
", le mensuel culturel et d’actualité qu’il a lancé
récemment, il répond " parenthèse culturelle
" parle ; de plus value affective " pour mieux rebondir sur
son activité principale : " nous sommes avant tout des historiens
de l’information car concrètement nous ne savons pas écrire
trois lignes de contenu. Nous cherchons des foyers d’informations
que nous mettons à jour avant de les faire migrer sur le réseau.
" Il parle à une allure folle, parfumant son langage de termes
cyber bédéistes du genre ” scooter électronique
", de jargon judiciaire, reconnaissant être procédurier
dans l’intérêt de son métier.. .
Se présentant
volontiers comme un personnage de caricature, Erhmann n’est ni sorcier
ni gourou mais un chef d’entreprise profondément impliqué,
ancré dans son époque ; probablement visionnaire quant à
son activité. Car loin de se cantonner aux seuils de rentabilité,
il prend part au débat s’inquiétant de certaines dérives
" depuis que l’histoire s’est emballée " le
11 septembre dernier. Des propos que s’arrachent la presse. Pour
une fois qu’une personnalité parle en face, a-t-on envie de
dire.
par Nadine Fageol
© 2002 LYON-INTERNATIONAL Magazine
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